34- Suetonius rйunit а la quatorziиme lйgion les vexillaires de la vingtiиme et ce qu'il y avait d'auxiliaires dans le voisinage. Il avait environ dix mille hommes armйs, lorsque, sans temporiser davantage, il se dispose au combat. Il choisit une gorge йtroite et fermйe par un bois, bien sыr auparavant qu'il n'avait d'ennemis qu'en face, et que la plaine, unie et dйcouverte, ne cachait point d'embыches. C'est lа qu'il s'йtablit, la lйgion au centre et les rangs serrйs, les troupes lйgиres rangйes а l'entour, la cavalerie ramassйe sur les ailes. Quant aux Bretons, leurs bandes а pied et а cheval se croisaient et voltigeaient tumultueusement, plus nombreuses qu'en aucune autre bataille, et animйes d'une audace si prйsomptueuse, que, afin d'avoir jusqu'aux femmes pour tйmoins de la victoire, elles les avaient traоnйes а leur suite, et placйes sur des chariots qui bordaient l'extrйmitй de la plaine.

35- Boudicca, montйe sur un char, ayant devant elle ses deux filles, parcourait l'une aprиs l'autre ces nations rassemblйes, en protestant "que, tout accoutumйs qu'йtaient les Bretons а marcher а l'ennemi conduits par leurs reines, elle ne venait pas, fiиre de ses nobles aпeux, rйclamer son royaume et ses richesses; elle venait, comme une simple femme, venger sa libertй ravie, son corps dйchirй de verges, l'honneur de ses filles indignement flйtri. La convoitise romaine, des biens, йtait passйe aux corps, et ni la vieillesse ni l'enfance n'йchappaient а ses souillures. Mais les dieux secondaient enfin une juste vengeance: une lйgion, qui avait osй combattre, йtait tombйe tout entiиre; le reste des ennemis se tenait cachй dans son camp, ou ne songeait qu'а la fuite. Ils ne soutiendraient pas le bruit mкme et le cri de guerre, encore moins le choc et les coups d'une si grande armйe. Qu'on rйflйchоt avec elle au nombre des combattants et aux causes de la guerre, on verrait qu'il fallait vaincre en ce lieu ou bien y pйrir. Femme, c'йtait lа sa rйsolution: les hommes pouvaient choisir la vie et l'esclavage."

36- Suetonius ne se taisait pas non plus en ce moment dйcisif. Plein de confiance dans la valeur de ses troupes, il les exhortait cependant, il les conjurait "de mйpriser ce vain fracas et ces menaces impuissantes de l'armйe barbare: on y voyait plus de femmes que de soldats; cette multitude sans courage et sans armes lвcherait pied sitфt qu'elle reconnaоtrait, tant de fois vaincue, le fer et l'intrйpiditй de ses vainqueurs. Beaucoup de lйgions fussent-elles rйunies, c'йtait encore un petit nombre de guerriers qui gagnait les batailles; et ce serait pour eux un surcroоt d'honneur d'avoir prouvй qu'une poignйe de braves valait une grande armйe. Ils devaient seulement se tenir serrйs, lancer leurs javelines, puis, frappant de l'йpйe et du bouclier, massacrer sans trкve ni relвche, et ne pas s'occuper du butin: la victoire livrerait tout en leurs mains." Telle fut l'ardeur qui йclatait а chacune de ces paroles, et l'air dont balanзaient dйjа leurs redoutables javelines ces vieux soldats йprouvйs dans cent batailles, que Suetonius, assurй du succиs, donna aussitфt le signal du combat.

37- Immobile d'abord, et se faisant un rempart de la gorge йtroite oщ elle йtait postйe, la lйgion attendit que l'ennemi s'approchвt, pour lui envoyer des coups plus sыrs. Quand elle eut йpuisй ses traits, elle s'avanзa rapidement en forme de coin. Les auxiliaires chargent en mкme temps, et les cavaliers, leurs lances en avant, rompent et abattent ce qui rйsiste encore. Le reste fuyait ou plutфt essayait de fuir а travers la haie de chariots qui fermait les passages. Le soldat n'йpargna pas mкme les femmes; et jusqu'aux bкtes de somme tombиrent sous les traits et grossirent les monceaux de cadavres. Cette journйe fut glorieuse et comparable а nos anciennes victoires: quelques-uns rapportent qu'il n'y pйrit guиre moins de quatre-vingt mille Bretons. Quatre cents soldats environ furent tuйs de notre cфtй; il n'y eut pas beaucoup de blessйs. Boudicca finit sa vie par le poison. Quand Poenius Postumus, prйfet de camp de la deuxiиme lйgion, apprit le succиs de la quatorziиme et de la vingtiиme, dйsespйrй d'avoir privй la sienne d'une gloire pareille en se refusant, contre les lois de la discipline, aux ordres du gйnйral, il se perзa de son йpйe.