Criar uma Loja Virtual Grátis
Et vogue le navire regarder en ligne regarder en ligne avec sous-titres anglais 4K

Et vogue le navire - la critique du film

Notre avis : Dernier chef-d’œuvre indiscutable de Fellini, Et vogue le navire est une manière de condensĂ©, Ă  la fois somme funèbre et cĂ©lĂ©bration sans fin de l’art. En imaginant une situation de dĂ©part entre rĂ©el et mĂ©taphore, il fait du navire un monde en lui-mĂŞme, mais un monde pliĂ© Ă  sa vision, ou plutĂ´t Ă  ses visions. Car ce qui frappe d’abord, c’est l’extraordinaire inventivitĂ© d’un jeune sexagĂ©naire, en pleine conscience de ses moyens. inventions visuelles, Ă©videmment, avec ce faux affirmĂ© (une femme devant le coucher de soleil s’extasie. « Quelle merveille. Il a l’air faux. »), amis aussi, avec son compagnon Tonino Guerra, inventions scĂ©naristiques et audaces narratives. C’est qu’ici Fellini ose tout. montrer les rouages du film, s’offrir un dĂ©but et une fin muets, allonger des sĂ©quences pour le simple plaisir de filmer (a-t-on souvent senti pareille jouissance Ă  proposer des images, voire une imagerie ?) ; il prend prĂ©texte d’un reporter, qui est aussi son alter-ego (ne le voit-on pas essayer un chapeau identique Ă  ceux du maestro ?) pour jouer avec les points de vue comme autant de chausse-trapes. qui filme le reporter. Comment sait-il que nous avons vu la chambre-musĂ©e. Ou que le bateau va sombrer alors que rien ne l’indique encore. Pourquoi parle-t-il Ă  un public alors que le cinĂ©ma est muet. On connaĂ®t la rĂ©ponse, Fellini ne cesse de la proclamer. tout est jeu ; le cinĂ©ma, c’est la lumière et c’est le faux, il se plie Ă  la volontĂ© des inventeurs.

Ă€ partir donc de ce navire-monde, aussi improbable que celui d’ Amarcord. le rĂ©alisateur dĂ©crit une sociĂ©tĂ© venue cĂ©lĂ©brer la dispersion des cendres d’une grande cantatrice. Son regard impitoyable montre ces gens de l’art comme des nombrilistes sans âme. ainsi de « la » Cuffori, qui refuse de chanter dans la salle des machines, mais s’y rĂ©sout pour ne pas laisser la lumière aux autres ; elle a d’ailleurs sans doute le rĂ´le le plus ingrat, vĂ©ritable oiseau momifiĂ©, mais c’est l’ensemble du groupe qui vit dans un univers clos, sans trace d’humanitĂ©. Ce que semblent leur reprocher les scĂ©naristes, c’est qu’ils ne sont plus habitĂ©s par leur art, qui n’est que dĂ©monstration vocale ou phĂ©nomène de foire (la poule hypnotisĂ©e). Alors, certes, en un dernier geste, ils paraissent sauvĂ©s par leur chant durant le naufrage ; mais l’hĂ©roĂŻsme verdien n’est qu’apparence grotesque, dont le pendant est le reporter qui se met en maillot au mĂŞme moment.
Sans aucun doute, Fellini n’Ă©pargne-t-il pas ses personnages, mais c’est qu’il enregistre leur fin, la fin d’une Ă©poque ; le grand-duc dit lui-mĂŞme. « Nous sommes tous morts ». CondamnĂ©s par leur manque de foi en l’art comme par leurs vices (Ă  cet Ă©gard le film tient du catalogue, de l’amateur de petites filles au mari Ă  la jalousie masochiste), ils sont des dinosaures asphyxiĂ©s et il faudra le sang neuf des Serbes pour les dynamiser, au risque du ridicule. Le rĂ©alisateur, qui privilĂ©gie les plans fixes, se fend d’un magnifique travelling (l’un des rares) pour parcourir le bateau en montrant le mĂ©lange des classes ; c’est très beau, mais Ă©videmment Ă©phĂ©mère puisque les migrants (clin d’œil de l’histoire) seront rapidement livrĂ©s au navire de guerre, monument quasi abstrait et douĂ© d’une vie propre. C’est par le chant et la danse « authentique » des Serbes que le brassage est possible, puisque l’opĂ©ra est devenu une coquille vide prĂ©texte Ă  acrobaties vocales.

Rejouant son rĂ´le dans le cinĂ©ma italien, Fellini s’amuse aussi des adieux Ă  un art corsetĂ©, qui, entre une Ă©poque muette inventive et l’arrivĂ©e des jeunes loups (parmi lesquels, Ă©videmment, lui-mĂŞme), a vĂ©cu d’intrigues compassĂ©es et de clichĂ©s. L’ailleurs, reprĂ©sentĂ© ici par les Serbes, c’est ce qui innerve, ce qui empĂŞche la claustration. C’est par le sang neuf que toujours une Ă©poque se rĂ©gĂ©nère, renverse les idoles formolĂ©es d’un autre temps.

Disant cela, on a conscience de ne pas Ă©puiser (mais c’est impossible) la richesse d’un film que chaque sĂ©quence, petit rĂ©cit presque indĂ©pendant, dote d’une densitĂ© nouvelle. Il faudrait multiplier aussi les points de vue, sociologiques, psychanalytiques (ah. Ce rhinocĂ©ros dans la cale !), en admettant que les grandes Ĺ“uvres Ă©chappent toujours Ă  l’exĂ©gèse, et c’est bien le signe de leur vitalitĂ©. On s’est d’ailleurs beaucoup interrogĂ© Ă  la sortie du film sur sa « signification », voulant y voir une parabole ou une fable ; mais Et vogue le navire dĂ©passe les interprĂ©tations univoques et on serait en peine de l’expliquer en unifiant autant de sens Ă©clatĂ©s. C’est aussi pourquoi, plus de trente ans après sa sortie, il garde un charme et un pouvoir de fascination intacts. Fellini, remarquable inventeur d’images, a une puissance d’imagination inouĂŻe, que peu de crĂ©ateurs atteignent Ă  ce niveau ; le film est Ă  la fois limpide et d’une complexitĂ© rare, avec ses intrigues multiples, ses jeux narratifs, ses symboles et ses rĂ©fĂ©rences. Mais au bout du compte ne reste que l’extrĂŞme fluiditĂ© qui se confond avec une beautĂ© mĂ©lancolique et profonde.

Galerie Photos